Quelle signification profonde les entreprises donnent-elles vraiment à leur existence ? Alors que le Branding se limite souvent à séduire, comment une marque peut-elle retrouver ses racines et construire une identité en phase avec des valeurs authentiques et durables ? Le Brand Rooting, loin des codes marketing traditionnels, invite les entreprises à redéfinir leur rôle au-delà du profit, à s'ancrer dans une mission qui résonne avec les enjeux de demain. En quoi cette approche peut-elle transformer notre perception du design de marque et poser les bases d’une connexion plus sincère entre l’entreprise et la société ? On vous partage ici notre vision et nos réponses sur ce que signifie réellement construire une marque légitime et engagée.
Aujourd’hui, il est difficile de ne pas se poser la question de ce qui donne vraiment du sens aux entreprises. Elles évoluent dans un environnement consumériste et néolibéral, qui les pousse avant tout à partager une image lucrative. Cette image, souvent enjolivée, vise à pousser à l’achat et sert les intérêts économiques de l’entreprise, parfois au détriment de ses clients et de notre planète. Au-delà de ces stratégies, qu’en est-il des valeurs profondes de l’entreprise ? Quel sens donne-t-elle à son existence ? Comment communique-t-elle cette raison d’être à travers son identité de marque ? Et surtout, comment justifie-t-elle sa légitimité future ?
Ces questions vous titillent ? C'est peut-être parce qu'aujourd'hui beaucoup d'entreprises ne répondent pas à ces interrogations et les transmettent encore moins à travers leur Branding. L’identité de marque est devenue avant tout un outil marketing pour capter l’attention, imposer une image, et occuper une place sur le marché. Le Branding, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, est souvent déconnecté des racines et des fondements de l'organisation, de ses valeurs, et surtout de sa mission sociale et environnementale, si tant est que l'entreprise en est une, et qui devraient pourtant être au cœur de ce qu'elle partage avec le monde.
Le design, dans sa vocation la plus large, est une discipline qui cherche à satisfaire des besoins, donner du sens, innover et créer de nouvelles formes, en associant créativité, art, techniques spécifiques et sciences humaines. Pour E-magem, c'est un processus créatif et intellectuel qui vise à résoudre des problématiques humaines, sociétales et environnementales. Or, dans l'univers numérique, en particulier lorsqu'on parle de Branding, celui-ci ne remplit plus ce rôle. Souvent utilisé pour manipuler les perceptions et maximiser les profits, il n'incarne que très rarement la raison d'être et la mission de l'entreprise.
C’est pourquoi il est essentiel de repenser la manière dont nous construisons nos marques, non pas pour attirer des consommateurs, mais pour créer un impact durable, aligné sur des valeurs pérennes, en lien avec les enjeux futurs de notre société.
On s’est penchés sur la question chez E-magem, parce qu'il est devenu indispensable d'aborder les limites du Branding et de comprendre comment réparer cette déconnexion.
Dans l'univers du Branding, plusieurs enjeux se posent aujourd'hui. Ces défis ne concernent pas seulement l'identité visuelle ou les logos ; ils touchent des aspects plus profonds, comme l'authenticité, la connexion émotionnelle, et l'impact sociétal. Voici trois exemples de ce que nous pouvons constater :
Ce glissement vers le marketing de masse, centré sur le court terme, révèle une confusion grandissante autour de la notion même de Branding. Pour bien comprendre cette déconnexion, il est important de se pencher sur la manière dont le Branding est généralement défini aujourd'hui.
Si vous effectuez une recherche rapide pour définir le terme "Branding", voici ce que vous trouvez :
Le constat est plutôt clair, le Branding c'est du marketing.
Pour rappel nous pouvons définir le marketing comme :
Le problème avec le Branding, c'est qu'il dépend trop des attentes du marché et façonne l'identité de l'entreprise en fonction des clients. Au lieu de mettre en avant ce qui rend l'entreprise légitime, utile ou bénéfique pour la société, le Branding sert souvent à optimiser la perception que les clients ont d'elle, afin de maximiser ses intérêts financiers. On construit une image qui séduit, plutôt qu'une image qui est sincère. Pourtant, on oublie que l'identité de marque, pour être durable, ne peut pas reposer uniquement sur la captation d'attention et la maximisation du profit. Si tel était le cas, comment pourrions-nous être sûrs que l'entreprise ne nous manipule pas simplement pour son propre gain ?
Dans le monde numérique, où la connexion entre les entreprises et leur audience devrait être plus humaine, comment le design peut-il restaurer cette relation en évitant de renforcer cette logique marchande ?
Le terme design est souvent mal compris. On le réduit trop souvent à un outil esthétique ou à une simple stratégie marketing. Pourtant, le design, dans sa forme la plus complète, est bien plus que cela. C’est un processus intellectuel, créatif et pluridisciplinaire, qui vise à résoudre des problématiques complexes en combinant des savoirs issus des sciences humaines, des techniques spécifiques, et une bonne dose de créativité.
Dans le domaine numérique, cette vision du design devient d'autant plus pertinente. Nous ne concevons pas simplement des visuels. Nous concevons des expériences, des identités, et des connexions entre une entreprise et le monde qui l’entoure. Cela inclut bien sûr l'aspect esthétique, mais surtout la fonctionnalité, la réflexion stratégique, et la capacité à répondre aux besoins sociaux, économiques et environnementaux de notre époque.
Le rôle fondamental du design est de créer du lien, pourtant cette conception est souvent négligée au profit d'une approche plus pragmatique et performante. Plutôt que d'être réfléchi dès la création de l'entreprise, le design est souvent considéré comme un outil ajouté en cours de route pour répondre aux attentes du marché. Pourtant, créer du lien implique d'établir une relation sincère, transparente et authentique entre le message qu'il véhicule et les personnes touchées par celui-ci. Le design doit permettre de comprendre clairement qui se trouve derrière son message, quels sont ses intérêts et ses motivations, afin d'éviter toute relation trompeuse ou nuisible.
Cependant, les messages véhiculés par le design sont souvent des moyens de vendre, plutôt que l'extension de la vision et des valeurs de l'entreprise. Pour que le design remplisse de nouveau son rôle, il est crucial de le reconnecter à la mission de l'entreprise, plutôt qu'à ses seuls objectifs de performance et de profit.
Ce qui rend le Branding si problématique selon nous, c’est qu’il est déconnecté du processus même de création d’une entreprise. Aujourd’hui, l’identité visuelle, les valeurs et la mission sont trop souvent pensées après coup, une fois que l’entreprise est déjà en place, comme un argument de plus parmi d'autres pour séduire et convaincre le marché. C'est un processus fragmenté, siloté, où l'identité de l'entreprise n'est plus pensée comme une partie intégrante de ses fondations. Elle est d'ailleurs bien souvent déléguée à des agences de com sans même que l'entreprise prenne part à sa conception. Ce processus crée une déconnexion entre ce qu'une entreprise est vraiment et l'image qu'elle projette. C'est ce que nous appelons aujourd'hui l'image lucrative de marque, en opposition à l'identité de marque, qui devrait non seulement refléter la mission et les valeurs fondamentales de l'entreprise, mais aussi légitimer son existence face aux grands enjeux de demain.
Historiquement, la relation entre l’identité et les racines était beaucoup plus fusionnelle. Je pense, par exemple, aux armoiries ou aux blasons : ces emblèmes étaient une extension de soi, une représentation visuelle des valeurs et de l'histoire de celui qui les portait.
Dans le contexte actuel, cette authenticité s’est diluée, et la dissonance entre ce qu’une entreprise est réellement et ce qu’elle montre est de plus en plus criante. Selon nous, une véritable identité de marque devrait témoigner de son histoire mais aussi de sa cause, de son utilité sociétale et environnementale, et prouver que l'entreprise contribue activement à une vision plus large du monde. Nous devons redonner au design son rôle de médiateur, capable de restaurer l'authenticité et de reconnecter l'entreprise à ses valeurs et aux grands enjeux à venir.
Le design est un médiateur, un acteur central dans la manière dont nous percevons le monde autour de nous. Lorsqu'on conçoit quelque chose, on fait le choix d'avoir un impact sur les personnes qui entrent en contact avec notre travail. Cet impact peut être positif ou, parfois, plus insidieux, comme le dépeint Guillaume Pitron, dans L'enfer numérique : Voyage au bout d'un Like, avec l’exemple d’Apple :
"Comment ce qui est beau pourrait-il être sale ?"
Pitron soulève le paradoxe de la perfection esthétique d’un produit comme l’iPhone, qui nous fait oublier à quel point sa production est polluante. Le design, dans ce cas, devient une illusion de simplicité qui masque des réalités bien plus complexes et désolantes. Cette idée est également relayée par Erick Rinner, qui explique que cette apparente perfection dans le monde digital complexe crée une fausse sensation de contrôle et d’immuabilité.
Cette illusion nous pousse à ignorer les effets négatifs de la production sur l’environnement et à accepter inconsciemment ce qui nous est présenté comme parfait. Mais cela soulève une question cruciale : si le design peut à ce point influencer nos perceptions, quelle est la responsabilité des entreprises dans ce processus ? L’identité de marque est un puissant outil de communication, elle est une prise de position, une preuve des intentions d'une entreprise, un moyen de refléter ou de dissimuler ses impacts sur la société et l’environnement.
Elle n'est donc ni inoffensive, ni anodine. Pour beaucoup, l'identité de marque devient le gage de l’authenticité d'une entreprise, de sa légitimité à long terme. Mais cette image peut-elle vraiment incarner une entreprise de manière sincère et transparente, si elle est uniquement pensée pour séduire ? C’est ici que la responsabilité des entreprises devient indissociable de la responsabilité du designer et de son travail.
En effet, comme le souligne Estelle Berger, enseignante-chercheuse à Strate, dans "La démarche design", "l'enjeu du designer consiste à interroger un terrain, diagnostiquer, enquêter [...] et être une force de proposition critique." Mais comment le Branding peut-il devenir une force de proposition critique, si son cadre est dicté par les règles du marché néolibéral, où le profit prime sur les responsabilités sociales et environnementales ?
Face à ces constats, il est impératif de repenser à la fois le rôle du designer et celui de l’entreprise dans nos sociétés. Comme le souligne Arthur Keller, expert en risques systémiques et en stratégies de résilience, une transformation sociétale est nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et sociaux actuels. Keller prône une approche fondée sur la résilience collective, misant sur la coopération entre territoires et communautés, et mettant l’accent sur l'importance des récits. Selon lui, le storytelling joue un rôle clé dans la mobilisation collective et incite les individus à agir pour bâtir une société plus juste et durable.
C’est précisément à travers les identités de marque que les entreprises véhiculent leurs récits. Ces récits, que le storytelling structure, peuvent soit contribuer à mobiliser positivement la société, soit au contraire, renforcer un système qui dessert l’intérêt collectif. Si le récit d'une entreprise est conçu pour maximiser le profit sans se soucier des conséquences sociales ou environnementales, alors oui, une identité de marque peut devenir un frein à la construction d’une société plus robuste.
Le Serment d’Hippocrate du designer, proposé par Mike Monteiro dans Ruined by Design, existe déjà pour rappeler la responsabilité des designers dans leurs créations. L'enjeu est désormais d’aligner les entreprises sur ce serment, car c’est à travers les récits, les images de marque, que les entreprises peuvent soit devenir des leviers de mobilisation collective pour bâtir une société plus équitable, soit se détourner de cette responsabilité.
Les designers doivent s’assurer que chaque création est alignée sur des principes éthiques et justes, mais il est tout aussi essentiel que les entreprises s'alignent sur ces mêmes principes. Un designer est responsable du travail qu’il introduit dans le monde, insiste Monteiro, et il en va de même pour les entreprises, qui doivent comprendre que leurs récits, leur Branding, sont les vecteurs des changements ou des inerties sociétales.
C’est dans ce contexte de transformation profonde que le Brand Rooting trouve sa pleine signification. Le terme "Rooting" provient de l'anglais "Root", qui signifie "racines". Tout comme les racines d'un arbre, le Brand Rooting vise à ancrer l’identité d’une entreprise (the Brand) dans ses fondements les plus profonds, ses valeurs, et sa raison d’être (The Roots). Ces racines nourrissent et stabilisent l’entreprise, lui permettant de grandir tout en restant connectée à son essence et au monde qui l'entoure. Le suffixe "-ing" ajouté à "Root" apporte une dimension dynamique pour souligner que ce travail d’ancrage constitue un effort constant pour répondre aux enjeux de demain. Contrairement au Branding, souvent limité à la captation de l'attention et à la maximisation des profits à court terme, le Brand Rooting propose une refonte complète de l’identité d’entreprise, en ancrant ses actions dans des principes durables et justes.
Le Branding traditionnel contribue souvent à une déconnexion entre ce que l'entreprise est réellement et l'image qu'elle projette, en occultant les enjeux sociaux et environnementaux. Le Brand Rooting vient résoudre cette problématique en reconnectant l’entreprise à des valeurs profondes et en alignant son identité avec les défis de demain. Il ne s’agit plus de séduire les consommateurs, mais d’aider les entreprises à répondre à une question cruciale : Quel rôle voulons-nous jouer dans la société et face aux transformations à venir ?
Le Brand Rooting repose sur un processus structuré qui permet de construire une identité cohérente et durable, en phase avec les enjeux sociaux et environnementaux. Voici les principales étapes de ce processus :
Le Brand Rooting dépasse largement les cadres traditionnels du marketing. Il ne s’agit plus d’utiliser l’identité comme un levier de performance, mais comme un outil de transformation. Ce procédé propose une réflexion approfondie sur l’identité de l’entreprise, en plaçant ses actions dans un cadre éthique et robuste. En ancrant la vision de l'entreprise dans une démarche de responsabilité sociétale, le Brand Rooting permet aux entreprises de se projeter à long terme et de participer activement aux transformations écologiques, sociales, et économiques.
Le Brand Rooting englobe la définition complète de la raison d’être de l’organisation. Ce processus invite l'entreprise à devenir un acteur engagé pour répondre aux grands enjeux de demain. En cela, il dépasse même le cadre des entreprises à mission, en ouvrant cette démarche à un plus grand nombre d’organisations, afin que toutes puissent participer à la transition que le monde économique et sociétal nécessite.
Le Brand Rooting propose donc un nouveau paradigme capable de mobiliser des communautés, où chaque entreprise, quelle que soit sa taille, peut devenir une force motrice de transformation en intégrant des principes déontologiques à sa stratégie. Ce modèle propose une réinvention complète du rôle de l’entreprise au sein de la société, en faisant évoluer le marché grâce aux récits d'entreprises alignées sur des valeurs fondamentales et des enjeux majeurs.
L'objectif du Brand Rooting est clair : réintégrer l’entreprise dans son écosystème, tout en faisant du design un acteur responsable et un vecteur de transformation et de progrès. Ce modèle offre une réponse concrète aux défis sociétaux et environnementaux d’aujourd’hui, en transformant l’identité de l’entreprise en un véritable outil de changement.